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PV de notification d'infractions douanières : toujours le respect préalable des droits de la défense

Transport - Douane
Affaires - Pénal des affaires
21/11/2022
La nullité de la procédure de notification d'infractions douanières au regard de la possibilité pour des opérateurs de faire valoir utilement leurs observations préalablement au procès-verbal de notification des infractions douanières est confirmée par la cour d’appel de Paris dans une décision du 7 novembre 2022 statuant sur renvoi d’un arrêt de de la Cour de cassation du 23 juin 2021 : les juges du fond entrent utilement dans le détail des faits et rappellent aussi le principe des droits de la défense qu’ils appliquent pour aboutir à l’annulation de l’avis de mise en recouvrement, mais pas des procès-verbaux de notification d'infractions douanières.
En 2018, la cour d’appel de Paris a écarté l'atteinte aux droits de la défense au motif qu'un délai de près de trente jours s'était écoulé entre la remise du procès-verbal de notification d'infractions et la notification de l'avis de mise en recouvrement (AMR) (CA Paris, 12 nov. 2018, n° 17/20991, Ministère des finances et des comptes publics et a. c/ Me X ès qual. et a.). Cette décision a été censurée par un arrêt du 23 juin 2021 de la Cour de cassation au motif notamment que les magistrats du fond ont situé l'exercice des droits de la défense à un stade postérieur de la procédure douanière (après le PV de notification) à celui visé par la Haute Cour dans son motif de cassation (avant ledit PV) (Cass. com., 23 juin 2021, n° 19-10.019, exposé dans ces colonnes ; voir notamment Préalable à l’AMR douanier : le respect des droits de la défense encore, Actualités du droit, 1er juill. 2021 et Communication des droits de douane : par le PV, mais pas par l’AMR, Actualités du droit, 30 juin 2021).
 
La décision de la cour d’appel de Paris ici rapportée statue sur renvoi de cet arrêt du 23 juin 2021. Sur le fond, cette décision de 2022 des magistrats parisiens porte donc sur la nullité de la procédure de notification d'infractions douanières au regard de la possibilité pour les opérateurs (importateurs et commissionnaire) visés de faire valoir utilement leurs observations préalablement au procès-verbal de notification des infractions douanières.
 
Acte faisant grief : le PV de notification d’infraction, mais pas l’AMR
 
Principe réaffirmé et effet sur l’AMR
 
La cour d’appel rappelle que « l'acte faisant grief correspond en droit public français à un acte qui a un impact sur la situation juridique d'une personne » et qu’en matière de procédure douanière, « il s'agit du procès-verbal de notification d'infraction, qui contient également notification d'une dette douanière, et non l'avis de mise en recouvrement qui constitue un titre exécutoire destiné à permettre le recouvrement d'une dette douanière précédemment constatée ». Il lui revient donc de vérifier si, dans les faits, les opérateurs ont pu faire valoir utilement leurs observations préalablement à la notification des infractions douanières. Et ce n’est pas le cas en l’espèce selon cette juridiction : que ce soit les commissionnaires ou l’importateur, aucun des opérateurs « n'a été destinataire, avant que le procès-verbal de notification d'infractions ne soit établi, d'un document de synthèse émanant de l'administration de douanes indiquant le fondement textuel des poursuites, la nature exacte des infractions douanières formant l'objet des poursuites, les motifs des poursuites et les pièces qui les soutiennent, ainsi que l'origine de ces pièces, la nature et le montant des droits de douane constatés ».
 
La procédure de notification d'infractions douanières étant irrégulière « pour cause d'atteinte aux droits de la défense » (voir le rappel ci-dessous), elle ne peut fonder la mise en recouvrement (et donc l’AMR) ni à l’encontre des commissionnaires, ni de l’importateur.
 
Application du principe aux commissionnaires en douane dans les faits
 
Acte de procédure insuffisant. – Pour les commissionnaires en douane concernés, le premier acte de la procédure douanière a consisté en l'envoi d'une convocation en vue d'assister à la rédaction du procès-verbal de notification d'infractions douanières par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en 2007. Cette lettre de convocation précise qu'un contrôle a été opéré par la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières sur des opérations d'importation effectuées par son client au cours des années 2000 et 2001 et qu'elle est adressée au commissionnaire en raison de ses déclarations afférentes à ces importations. Une liste des déclarations d'importation concernées est jointe à la convocation.
 
Selon les juges, « ces seules indications fournies par la lettre de convocation ne permettent pas au commissionnaire en douane d'identifier la nature de l'infraction douanière poursuivie, de connaître les faits qui lui sont reprochés, comme à son commettant, (...), et d'avoir connaissance des pièces qui fondent les poursuites » et la « simple identification des déclarations d'importation litigieuse est insuffisante » pour lui permettre de savoir ce qui lui reproché et de présenter dès lors utilement des observations avant la notification par procès-verbal d'une ou plusieurs infractions douanières.
 
Défaut de réponse à la convocation. – Les juges ajoutent que le fait que les dirigeants des sociétés commissionnaires « aient choisi de ne pas répondre à cette convocation est indifférent dès lors que l'absence de communication préalable des éléments de droit et de fait retenus à l'encontre de ces commissionnaires en douane les a privés de la faculté de présenter utilement leur point de vue avant l'établissement d'un procès-verbal de notification d'infractions, comme elle a privé l'administration des douanes de toute possibilité de prendre utilement en compte les éventuelles observations des commissionnaires en douane avant de procéder à la notification d'infractions douanières » (sur ce point également, voir le rappel ci-dessous sur les droits de la défense).
 
Communication de pièces (défaut). – La cour d’appel relève aussi qu'il résulte notamment des procès-verbaux que l'ensemble des pièces qui y sont visés (notamment les procès-verbaux de l'enquête conduite à l'égard de l’importateur et les annexes au rapport de visite de l'OLAF) n’a pas été joint à la notification du procès-verbal faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception aux commissionnaires. Cette juridiction ajoute que le fait que l’avocat/conseil de l’importateur ait été le même que celui des commissionnaires à la date de notification du procès-verbal d'infractions (et sous-entendu qu’il ait pu avoir connaissance des pièces via l’importateur et les communiquer aux commissionnaires) ne dispense pas la Douane de son obligation de communication des pièces de la procédure spécifiquement conduite à l’encontre des commissionnaires.
 
Application du principe à l’importateur dans les faits
 
Pour la cour d’appel, même si l'enquête douanière a débuté par la visite domiciliaire ayant fait l'objet d'un procès-verbal de constat de 2002, le procès-verbal de notification d'infractions de 2007 en présence du dirigeant de la société importatrice et de son avocat constitue « le premier acte de synthèse de la procédure et le seul acte exposant les fondements textuels des poursuites, les faits incriminés, les pièces qui les soutiennent, les conclusions des investigations menées par les agents de la DNRED et les éléments retenus à charge ».
 
Actes d’enquête non contradictoires. – Ce PV de 2007 énumère l'ensemble des procès-verbaux de constat dressés par la Douane depuis 2002 et, à l'exception d’un PV de cette année-ci, qui correspond à une audition d’un dirigeant et qui n'est pas produit en l'espèce, « tous les procès-verbaux énumérés correspondent à des actes d'enquête non contradictoire[s] à savoir des demandes de communication de documents et des saisies de pièces et documents ».
 
Communication de pièce (défaut). – Un procès-verbal de 2004, qui porte sur une demande de communication de documents et retranscrit également une audition d’un dirigeant sur des pièces de la procédure, précise que ce dernier a alors été informé qu'une enquête communautaire au sein de la société mère en Turquie en 2003 avait permis d'établir la fraude qui concernait un nombre déterminé de téléviseurs importés par la société importatrice. Toutefois, indiquent les juges, « les éléments et conclusions de l'enquête de l'OLAF visés dans ce procès-verbal de constat » ne lui ont pas été pas remis en annexe à la copie de ce PV.
 
Le procès-verbal de notification d'infractions de 2007 indique que lui sont joints le rapport de visite de l'OLAF dans les locaux de la société mère et certaines de ses annexes. Mais, pour les juges, il n’est pas établi que ce rapport de visite corresponde au rapport final de l'OLAF « qui n'a été que partiellement communiqué » à la société importatrice « après l'émission de l'avis de mise en recouvrement » qui a suivi le procès-verbal de notification. Or, toujours selon ce dernier PV, « seules les données issues de l'enquête de l'OLAF sont utilisées par l'administration des douanes pour caractériser l'importation » frauduleuse par l’opérateur, de sorte que, selon la cour d’appel, il « n'a pas été en mesure de les discuter utilement, après avoir disposé d'un temps raisonnable pour procéder à leur examen et à leur analyse ». Et, ajoute cette cour, la Douane ne peut valablement soutenir que l’importateur avait accès aux informations recueillies par l’OLAF au motif qu'il est une filiale de la société mère visitée : « il ne peut être déduit de ces seuls liens capitalistiques un libre accès de la filiale française aux données personnelles de la société de droit turc ».
  
Annulation des PV de notification pour violation des droits de la défense (non)
 
La demande d'annulation des PV de notification d'infractions est écartée au motif que « la violation des droits de la défense n'est pas une cause de nullité des procès-verbaux de douane prévue à l’article 338 1° du code des douanes ».
 
Droits de la défense : principe fondamental du droit de l’UE (rappel)
 
La cour d’appel de Paris rappelle les solutions de la Cour de justice de l'Union européenne qui précise que le respect des droits de la défense (principe fondamental du droit communautaire qui doit être assuré même en l’absence de réglementation) implique, afin que l'on puisse considérer que le bénéficiaire de ces droits a été mis en mesure de faire connaître son point de vue utilement, que l'administration prenne connaissance, avec toute l'attention requise, des observations de la personne ou de l'entreprise concernée (l’arrêt Sopropé est notamment rappelé : CJUE, 18 déc. 2008, n° C-349/07, Sopropé - Organizações de Calçado Lda c/ Fazenda Pública).
 
S’agissant en l’espèce de l'application de la réglementation communautaire relative aux droits anti-dumping, dont la perception doit abonder le budget de l'UE, les principes fondamentaux de droit communautaire (à défaut de texte français puisque les articles 67 A et suivants relatifs au droit d’être entendu, DEE, n’ont pas encore été introduits dans le Code des douanes au moment des faits), dont le principe du respect des droits de la défense, gouvernaient donc la procédure de constatation et de notification d'infractions douanières mise en œuvre à l'encontre des opérateurs.
 
 
Source : Actualités du droit