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Droit à la communication du dossier : le fonctionnaire doit pouvoir « se défendre utilement »

Public - Droit public général
16/05/2023
Par un arrêt du 28 avril 2023, le Conseil d’État confirme que le droit à la communication du dossier de l’agent public, prévu par la loi du 22 avril 1905, ne peut être limité qu’en cas de risque de grave préjudice pour les témoins. Il ajoute que même lorsque ce risque est présent, l’agent doit être informé de la teneur des témoignages afin de pouvoir se défendre utilement.
Dans cette affaire, un fonctionnaire du corps des inspecteurs pédagogiques régionaux-inspecteurs d’académie avait été nommé, par la voie du détachement, directeur académique. Après un signalement de la rectrice, le ministre de l’Éducation nationale a confié à l’inspection générale de l’éducation une enquête administrative. À la suite de la remise d’un rapport, il a été mis fin aux fonctions et au détachement de l’agent dans l’intérêt du service. Le fonctionnaire a été réintégré dans son corps d’origine et affecté au sein d’une autre académie.
 
Agent mis à même d’obtenir communication de son dossier
 
Le Conseil d’État, jugeant l’affaire par un arrêt 28 avril 2023 (CE, 28 avr. 2023, n° 443749, Lebon T.), rappelle les termes de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, à savoir qu’ « un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même d'obtenir communication de son dossier ».
 
Il rappelle ensuite le principe selon lequel cette communication est obligatoire sauf en cas de risque grave pour les témoins, et reprend les termes exacts d’une décision du 5 février 2020 (CE, 5 févr. 2020, n° 433130, Lebon T.) : « Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, le rapport établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de parties de ce rapport ou de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné ».
 
Information sur la teneur du rapport ou des procès-verbaux
 
La Haute cour vient ici compléter ce principe en ajoutant une nouvelle garantie pour le fonctionnaire qui ne pourra pas recevoir communication du rapport ou des procès-verbaux : « Dans ce cas, l'administration doit informer l'agent public, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur, de telle sorte qu'il puisse se défendre utilement ». Il permet ainsi un meilleur équilibre entre la protection des témoins et la garantie des droits de la défense pour le fonctionnaire.
 
En l’espèce, le Conseil relève que le fonctionnaire a bien été destinataire du rapport final de l’enquête administrative qui portait sur son comportement. Il note toutefois que des éléments importants du rapport n’avaient pas été portés à sa connaissance. Il indique ainsi : « ce rapport lui a été transmis dans une version dans laquelle, d'une part, plusieurs parties avaient été intégralement occultées, y compris s'agissant de leur intitulé, et remplacées par les mentions " partie non communicable (art[icle] L. 311-6 CRPA) ", d'autre part, les parties non totalement occultées comportaient certaines mentions dissimulées selon le même procédé ». De plus, alors que quarante-quatre comptes rendus d'audition étaient annexés au rapport, l’agent n’en avait reçu que quelques-uns.
 
Le Conseil recherche si la suppression de certains éléments avait pour objet de protéger les témoins et répond par la négative. Il en conclut que l’agent « n'a pas reçu communication de l'ensemble des pièces qu'il était en droit d'obtenir en vertu de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, afin de préparer utilement sa défense ». Ainsi, le décret et l’arrêté attaqués ont été adoptés à la suite d’une procédure irrégulière et doivent par conséquent être annulés.
 
Avant sa décision du 5 février 2020, le Conseil d’État avait déjà déclaré en 2006 : « Considérant que le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions précitées impose à l'autorité administrative d'informer le salarié concerné, de façon suffisamment circonstanciée, des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui s'en estiment victimes ; / Considérant que le caractère contradictoire de cette enquête implique en outre que le salarié protégé puisse être mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, notamment des témoignages et attestations ; que toutefois, lorsque l'accès à ces témoignages et attestations serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur » (CE, 24 nov. 2006, n° 284208, Lebon).
 
Source : Actualités du droit