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Nouvelle sanction adoptée après la suspension de la première : pas de violation du principe non bis in idem

Public - Droit public général
04/01/2024
En cas de suspension d’une sanction par le juge des référés, l’Administration peut adopter une nouvelle sanction plus faible que la précédente avant qu’il n’ait été statué sur le recours en annulation, et ce, sans enfreindre ni le caractère exécutoire et obligatoire de l’ordonnance ni le principe non bis in idem. C’est ce qu’a déclaré le Conseil d’État dans un arrêt rendu en section le 22 décembre 2023, dans lequel il a également apporté de nouvelles précisions sur la communication du dossier et des témoignages au fonctionnaire faisant l’objet d’une sanction disciplinaire.
Un professeur s’est vu infliger une sanction de mise à la retraite d’office du fait de manquements à ses obligations déontologiques ainsi qu’à son devoir de neutralité et d’obéissance hiérarchique. Il a ensuite obtenu la suspension de cette sanction par le juge des référés du tribunal administratif (TA) de Paris. Le ministre de l’Éducation nationale l’a alors réintégré et a pris une nouvelle sanction plus faible, à savoir une exclusion temporaire de fonctions. Jugeant l’affaire au fond, le TA a ensuite annulé la mise à la retraite d’office et confirmé l’exclusion temporaire. La Cour administrative d’appel (CAA) a par la suite annulé la sanction d’exclusion temporaire. Le ministre de l’Éducation nationale se pourvoit en cassation.
 
Par un arrêt rendu en section le 22 décembre 2023 (n° 462455), le Conseil d’État vient apporter deux précisions importantes, l’une concernant le respect des droits de la défense du fonctionnaire sanctionné, l’autre concernant la possibilité d’adopter une nouvelle sanction alors que la première a été simplement suspendue mais n’a été ni retirée ni annulée.
 
En ce qui concerne les droits de la défense de l’agent public, le Conseil vient préciser sa jurisprudence sur la communication du dossier.
 
Anonymisation du témoignage en cas de « risque avéré »
 
La Haute juridiction vient rappeler que l’agent doit être mis à même de prendre connaissance du rapport de la mission d’inspection sur lequel se fonde l’autorité disciplinaire « ou des parties de celui-ci relatives aux faits qui lui sont reprochés, ainsi que des témoignages recueillis (…) ».
 
Elle rappelle également que la communication d’un témoignage ne doit pas porter préjudice aux témoins, et qu’en cas de risque de préjudice, le témoignage doit être anonymisé, et vient préciser que ce risque doit être « avéré ».
Le Conseil a modifié plusieurs fois sa terminologie et avait annoncer dans une décision de février 2020 que l’identité des témoins devaient être communiquée « sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné » (CE, 5 févr. 2020, n° 433130, Lebon T., voir Fonction publique : précisions sur le droit à la communication du dossier, Actualités du droit, 25 févr. 2020), ce qu’il a confirmé à plusieurs reprises (CE, 28 janv. 2021, n° 435946, Lebon T., voir Sanction disciplinaire : le Conseil d’État rappelle le droit à la communication du dossier, Actualités du droit 3 févr. 2021 ; CE, 12 févr. 2021, n° 435352, Lebon T., voir Fonction publique : irrégularité de la sanction en l’absence de motivation de l’avis de la CAP, Actualités du droit 16 févr. 2021).
Dans une décision d’avril 2023, Le Conseil a retiré le terme « gravement », excluant la communication de l’identité des témoins lorsqu’elle « serait de nature à leur porter préjudice » (CE, 5 avr. 2023, n° 463028, Lebon T. ; voir Pas de sanction disciplinaire reposant uniquement sur des témoignages anonymes, Actualités du droit, 19 avr. 2023).
 
Dans sa décision du 22 décembre 2023, le Conseil parle de « risque avéré de préjudice » pour l’auteur du témoignage, et donne des critères à l’autorité disciplinaire pour évaluer ce risque : elle doit l’apprécier « au regard de la situation particulière du témoin vis-à-vis de l'agent public mis en cause, sans préjudice de la protection accordée à certaines catégories de témoins par la loi ».
 
Insuffisance de la communication de seuls extraits des témoignages
 
Ensuite, le Conseil annonce que lorsque l’agent indique ne pas avoir obtenu communication d’un témoignage, « il appartient au juge d'apprécier, au vu de l'ensemble des éléments qui ont été communiqués à l'agent, si celui-ci a été privé de la garantie d'assurer utilement sa défense ».
 
En l’espèce, le Conseil confirme l’arrêt d’appel, qui avait jugé que le requérant avait été privé de la garantie d’assurer utilement sa défense. En effet, la Cour avait relevé que si le rapport avait bien été communiqué à l’agent, ce n’était pas le cas des témoignages, dont seuls certains extraits figuraient dans le rapport. « Dès lors que la sanction était fondée sur l’ensemble des témoignages », la communication de seuls extraits de témoignages ne suffit pas à garantir le respect des droits de la défense.
 
Adoption d’une nouvelle sanction plus faible alors que la première est suspendue
 
Le second apport, qui est l'apport principal de cette décision, tient au fait qu’en cas de suspension de la sanction par le juge des référés, l’Administration n’est plus obligée de retirer cette sanction pour en prendre une nouvelle lorsque la première n’a pas été annulée dans le cadre d’un recours en annulation. La Haute juridiction déclare ainsi qu’alors même que la première sanction n’est ni annulée ni retirée, le fait d’en prendre une deuxième moins sévère n’enfreint pas le principe non bis in idem. Elle justifie cette solution par le fait que seule la seconde sanction est susceptible de produire des effets sur l’agent.
 
De plus, Le Conseil annonce que l’adoption de cette nouvelle sanction plus faible ne porte pas atteinte au caractère exécutoire et obligatoire de l’ordonnance.
 
Le Conseil déclare ainsi : « Lorsque le juge des référés a suspendu l'exécution d'une sanction en raison de son caractère disproportionné, l'autorité compétente, peut, sans, le cas échéant, attendre qu'il soit statué sur le recours en annulation, prendre une nouvelle sanction, plus faible que la précédente, sans méconnaître ni le caractère exécutoire et obligatoire de l'ordonnance de référé, ni le principe général du droit selon lequel une autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits, ce sans préjudice de l'obligation de retirer l'une ou l'autre des sanctions en cas de rejet du recours tendant à l'annulation de la sanction initialement prononcée ».
 
En l’espèce, la CAA avait considéré que l’agent avait « été illégalement sanctionné deux fois pour les mêmes faits », car deux sanctions avaient été adoptées pour les mêmes faits. Pour le Conseil, la cour a commis une erreur de droit dans la mesure où la première sanction était suspendue au moment où la seconde avait été adoptée. Ainsi, la cour a commis une erreur de droit dans la mesure où la sanction d’exclusion temporaire « était la seule sanction susceptible de produire des effets ».
Source : Actualités du droit