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Donation de gains et salaires «économisés» par un époux commun en biens, et souscription d’un contrat d’assurance vie mixte désignant un tiers comme bénéficiaire : précisions de la Cour de cassation

Civil - Personnes et famille/patrimoine
25/11/2019

► 1° Ne sont pas valables les libéralités consenties par un époux commun en biens au moyen de sommes provenant de ses gains et salaires lorsque ces sommes ont été économisées ;

► 2° selon l’article L. 132-9 du Code des assurances, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007, et l’article L. 132-21 du même code, ensemble l’article 894 du Code civil, en l’absence de renonciation expresse de sa part, le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie mixte est fondé à exercer le droit de rachat prévu au contrat même en présence de bénéficiaires ayant accepté le bénéfice de ce contrat ; il en résulte que, dans le cadre d’un contrat d’assurance vie mixte souscrit par un époux commun en biens et désignant sa maîtresse comme bénéficiaire, il ne peut y avoir lieu à requalification du contrat en donation indirecte, en l’absence de constatation d’une renonciation expresse de l’époux à l’exercice de son droit de rachat garanti par le contrat, alors même qu’il aurait consenti à l’acceptation de sa désignation par le bénéficiaire.

Telles sont les précisions apportées par la première chambre civile de la Cour de cassation, aux termes d’un arrêt rendu le 20 novembre 2019 (Cass. civ. 1, 20 novembre 2019, n° 16-15.867, FS-P+B+I).

En l’espèce, un époux était décédé en laissant pour lui succéder son épouse ; les époux, mariés sous le régime de la séparation de biens, avaient adopté en 1988 le régime de la communauté universelle ; soutenant que son époux avait diverti des fonds au profit de Mme X, avec laquelle il entretenait une relation adultère, l’épouse avait assigné cette dernière pour en obtenir la restitution ; étant décédée en cours d’instance, son frère, était intervenu volontairement en sa qualité de légataire universel ;

Mme X faisait grief, tout d’abord, à l’arrêt de prononcer la nullité des donations de 200 000 et 120 000 euros consenties par l’époux à son profit et de la condamner à payer ces sommes au frère.

♦ Elle faisait valoir, en premier lieu, que chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires à titre gratuit ou onéreux après s’être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage.

L’argument est balayé par la Haute juridiction, qui réaffirme, clairement, dans un attendu à valeur de principe, que ne sont pas valables les libéralités consenties par un époux commun en biens au moyen de sommes provenant de ses gains et salaires lorsque ces sommes ont été économisées (déjà en ce sens, retenant, à l’inverse, que la donation par un époux à sa maîtresse de gains et salaires, dont il n’était pas relevé qu'ils avaient été économisés, était valable même en l'absence de consentement de l'épouse, cf. Cass. civ. 1, 29 février 1984, n° 82-15.712 ; cf. l’Ouvrage «Droit des régimes matrimoniaux», Les gains et salaires).

Elle approuve alors la cour d’appel, qui avait relevé, par motifs adoptés, que l’époux avait remis à Mme X deux chèques de 120 000 et 200 000 euros tirés sur deux de ses comptes personnels, lesquels avaient été alimentés par des virements provenant, pour le premier, du rachat d’un contrat d’assurance sur la vie, pour le second, de la liquidation d’un compte-titre ouvert au nom des deux époux en 1988 ; elle en avait valablement déduit que, même si certains de ces fonds provenaient des gains et salaires de l’époux, ils étaient devenus des économies et ne constituaient donc plus des gains et salaires, de sorte qu’en application de l’article 1422 du Code civil, les donations ainsi consenties, sans l’accord de son épouse, devaient être annulées .

♦ En revanche, était bien contestable la requalification en donations indirectes, retenue par la cour d’appel, des contrats d’assurance vie mixtes, que l’époux avait souscrit en désignant Mme X comme bénéficiaire.

En effet, pour requalifier en donations indirectes les contrats d’assurance sur la vie que l’époux avait souscrit en désignant Mme X comme bénéficiaire, la cour d’appel avait énoncé, d’abord, qu’un tel contrat pouvait être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire avait été désigné révélaient la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable et que tel était le cas lorsque celui-ci avait consenti à l’acceptation de sa désignation par le bénéficiaire dans la mesure où, en une telle hypothèse, il était alors privé de toute possibilité de rachat ; elle avait relevé, ensuite, que, le 28 septembre 2004, Mme X et l’époux avaient signé une lettre par laquelle ils demandaient à l’assureur d’enregistrer l’accord de Mme X, bénéficiaire acceptante des contrats d’assurance ; elle en déduisait, enfin, que celui-ci ayant ainsi consenti à cette acceptation, il s’était dépouillé irrévocablement de sorte que les contrats devaient être requalifiés en donation indirecte.

A tort, selon la Haute juridiction, qui censure la décision des juges d’appel faute d’avoir constaté une renonciation expresse de l’époux à l’exercice de son droit de rachat garanti par le contrat.

 

Anne-Lise Lonné-Clément

Source : Actualités du droit