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Maladresse chirurgicale et responsabilité pour faute du médecin : une « certitude » sinon rien

Public - Santé
Civil - Responsabilité
04/03/2020
La Cour de cassation subordonne l’engagement de la responsabilité pour faute du médecin ayant commis une maladresse chirurgicale à la certitude que l’atteinte qui en résulte soit causée par ce médecin en accomplissant son geste chirurgical.
En l’espèce, une personne subit une intervention chirurgicale. À la suite de cette dernière, elle conserve des séquelles qu'elle estime être imputables à l’intervention du chirurgien qui aurait porté atteinte à un organe que son intervention n’impliquait pas.

Il est de principe, depuis la loi du 4 mars 2002 (L. n° 2002-303) que la responsabilité du médecin ne peut être engagée qu’à la suite d’une faute. Il en va particulièrement ainsi lorsque, par exemple, un chirurgien commet une faute technique dans l’exécution de son acte médical qui cause un dommage au patient. Une telle faute doit être prouvée, à défaut de quoi la responsabilité du médecin ne sera pas engagée.

Quid de la situation où ce même chirurgien porte atteinte à un organe que l’intervention n’impliquait pas ? Dans ce cas, a priori, la faute du médecin doit être présumée. C’est ainsi qu’avant même l’entrée en vigueur de la loi précitée, la première chambre civile a pu décider que « toute maladresse d’un praticien engage sa responsabilité et est, par là même, exclusive de la notion de risque inhérent à un acte médical » (Cass. 1re civ., 30 sept. 1997, n° 95-16.500). Cette solution a perduré (v. par ex. Cass. 1re civ., 20 janv. 2011, n° 10-17.357) malgré les dispositions nouvelles de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique qui imposaient clairement une faute et par corollaire sa preuve. En d’autres termes, la preuve de la faute, même réduite en une maladresse, n’était de facto plus exigée et cela alors même que les termes de la loi nouvelle l’imposaient.

Dans sa jurisprudence postérieure, la Cour a pu préciser que « l’atteinte, par un chirurgien, à un organe ou une partie du corps du patient que son intervention n’impliquait pas, est fautive, en l’absence de preuve, qui lui incombe, d’une anomalie rendant l’atteinte inévitable ou de la survenance d’un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relèverait de l’aléa thérapeutique » (Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 12-13.900). Le médecin peut donc se soustraire à sa responsabilité s’il prouve que l’atteinte portée à un organe non concerné par l’intervention était inévitable ou inhérente à l’acte pratiqué. Dans un arrêt encore plus récent (Cass. 1re civ., 4 oct. 2017, n° 16-24.159), la première chambre persiste dans des termes encore plus claires et concis : « Dans le cas d'une atteinte à un organe ou un tissu que l'intervention n'impliquait pas, une faute du chirurgien peut être écartée par la preuve de la survenance d'un risque inhérent à l'intervention ne pouvant être maîtrisé et relevant de l'  thérapeutique ».

La cour d’appel engage la responsabilité du médecin en estimant «  qu'en l'absence de prédisposition anatomique du patient rendant l'atteinte inévitable, et du fait que les explications et causes possibles de la contusion médullaire formulées par le docteur A ne permettaient pas d'identifier ni d'expliciter de manière objective et certaine le risque inhérent à l'opération pratiquée sur la personne de M. Z, qui serait non maîtrisable au point qu'il relèverait de l'aléa thérapeutique, le chirurgien ne démontrait pas l'une des occurrences qui lui permettraient de renverser la présomption de faute et de voir qualifier les suites de l'opération chirurgicale de son patient d'aléa thérapeutique ». La cour d’appel constate donc que le médecin, étant dans l’incapacité d’apporter la preuve que l’atteinte fut inévitable ou inhérente à l’acte pratiqué, est présumé responsable.

Un raisonnement que la Cour de cassation trouve peu convaincant. En effet, elle commence par rappeler qu’au visa de l’article L. 1142-1 du Code de santé publique, la responsabilité du médecin ne peut être engagée que pour faute.  Et elle poursuit : « Dès lors que ceux-ci sont tenus d'une obligation de moyens, la preuve d'une faute incombe, en principe, au demandeur. Cependant, l'atteinte portée par un chirurgien à un organe ou un tissu que son intervention n'impliquait pas, est fautive en l'absence de preuve par celui-ci d'une anomalie rendant l'atteinte inévitable ou de la survenance d'un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relève de l'aléa thérapeutique. Mais l'application de cette présomption de faute implique qu'il soit tenu pour certain que l'atteinte a été causée par le chirurgien lui-même en accomplissant son geste chirurgical ».

Cette dernière phrase peut interpeler. Ainsi, la Cour semble ajouter une condition supplémentaire afin que puisse jouer la présomption de responsabilité du médecin - si un doute subsiste sur le fait que la maladresse a été commise par le médecin, et donc en réalité la maladresse en tant que telle, la présomption est écartée. Or, en pratique, dans le cas des interventions chirurgicales complexes et compte tenu de la complexité prodigieuse des interactions au sein du corps humain, il parait difficile d’avoir toujours la certitude que l’atteinte a bien été commise par le médecin lui-même en accomplissant son geste chirurgical. Quid de la preuve de cette certitude ?

Bien que la jurisprudence de la Cour n’est pas stable en la matière, une telle position rejoindrait la tendance à l’assouplissement de la responsabilité des médecins en cas de lésion d’un organe voisin de celui qui fait l'objet de l’intervention. Peut-être aussi cela permettrait aux juges du Quai de l’Horloge de se rapprocher de la position des juges du Palais Royal, déjà bien établie en la matière et guère favorable à la reconnaissance de la responsabilité des médecins en matière des maladresses médicales (CE, 15 avr. 2015, n° 370309).
Source : Actualités du droit