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Déontologie des membres des juridictions administratives : quid de la liberté d’expression ?

Public - Droit public général
30/03/2020
Les restrictions imposées par la charte de déontologie des membres de la juridiction administrative quant à l’utilisation des réseaux sociaux ne portent pas atteinte à la liberté d’expression des magistrats. C’est ce qu’a déclaré le Conseil d’État dans un arrêt rendu le 25 mars à la suite d’un recours du syndicat de la juridiction administrative.
 
Le syndicat de la juridiction administrative demandait au Conseil d’État d’annuler la décision du 16 mars 2018 modifiant la charte de déontologie des membres de la juridiction administrative adoptée le 14 mars 2017, qui avait créé des paragraphes sur l’usage des réseaux sociaux sur Internet.
 
Charte déontologique et bonnes pratiques
 
Sur la portée de la charte, la Haute cour rappelle dans son arrêt du 25 mars 2020 (CE, 25 mars 2020, n° 421149) que la loi « Déontologie » du 20 avril 2016 a instauré des dispositions visant les juridictions administratives. Ainsi, les articles L. 131-2 et L. 231-1-1 du CJA prévoient que les membres des juridictions administratives « exercent leurs fonctions en toute indépendance, dignité, impartialité, intégrité et probité, et se comportent de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard ». Ils doivent également s’abstenir « de tout acte ou comportement à caractère public incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions ».
 
C’est cette même loi qui a prévu l’établissement par le vice-président du Conseil d’État d’une charte déontologique, après avis du collège de déontologie de la juridiction administrative. Le Conseil d’État déclare dans son arrêt que la charte « a vocation, outre à rappeler les principes et obligations d’ordre déontologique qui leur sont applicables, à préconiser des bonnes pratiques propres à en assurer le respect ».
 
Sur l’application de cette charte et la portée des bonnes pratiques, il annonce que « pour apprécier si le comportement (…) traduit un manquement aux obligations déontologiques », ces bonnes pratiques « sont susceptibles d’être prises en compte, sans pour autant que leur méconnaissance ne soit, en elle-même, constitutive d’un manquement disciplinaire ».
 
Le Conseil d’État ne constate aucune illégalité externe et confirme que son vice-Président n’a pas excédé sa compétence.

Utilisation limitée des réseaux sociaux
 

"Les membres des juridictions administratives doivent faire preuve d’une vigilance équivalence à celle qu'impliquerait une publication dans une revue scientifique"

 
Sur la légalité interne de la charte, il rappelle que les paragraphes litigieux recommandent notamment d'observer « la plus grande retenue (...) dans l'usage des réseaux sociaux sur Internet lorsque l'accès à ces réseaux n'est pas exclusivement réservé à un cercle privé aux accès protégés », et précisent qu’ « il convient de s'abstenir de prendre part à toute polémique qui, eu égard à son objet ou à son caractère, serait de nature à rejaillir sur l'institution ».

Enfin, la Haute cour note que « s'agissant de l'actualité juridique et administrative, ils énoncent que les membres de la juridiction administrative doivent faire preuve, dans les propos qu'ils sont conduits à tenir sur les réseaux sociaux "d'une vigilance équivalente à celle qu'impliquerait leur publication dans une revue scientifique" ».
 
Pas de méconnaissance de la liberté d’expression
 
Pour le Conseil, ces recommandations visent « à assurer le respect de l'obligation de réserve à laquelle les membres de la juridiction administrative sont tenus, laquelle vise à éviter que la diffusion de leurs propos porte atteinte à la nature et à la dignité des fonctions qu'ils exercent et à garantir l'indépendance, l'impartialité et le bon fonctionnement de la juridiction administrative ». Il en conclut que ces dispositions ne portent pas atteinte à la liberté d’expression garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
 
La charte contient également des recommandations sur l’usage des réseaux sociaux (paramétrage du compte, absence de mention de la qualité de magistrat, absence de commentaire sur l’actualité politique et sociale, etc.).
 
Pour le Conseil, ces recommandations n’interdisent en aucun cas aux membres des juridictions administratives d’être inscrits sur des réseaux sociaux, mais visent à empêcher une diffusion des propos excédant celle envisagée, qui contraindrait leur auteur à répondre d’un manquement à son obligation de réserve. En effet, il est difficile de s’assure du caractère privé de propos tenus sur des réseaux sociaux. Il estime donc que l’atteinte à la liberté d’expression n’est pas disproportionnée, et rejette le pourvoi.
Source : Actualités du droit