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Responsabilité pénale des sociétés : en cas de fusion, la responsabilité de l’absorbée peut être transmise à l’absorbante

Affaires - Pénal des affaires
Pénal - Droit pénal général
26/11/2020
Revirement de jurisprudence pour l’avenir. Désormais, en cas de fusion-absorption d’une société par une autre, l’absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits commis par la société absorbée avant la fusion. Précisions.
Ce qu’il faut retenir de l’arrêt du 25 novembre 2020 (Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 18-86.955) :
  • en cas de fusion absorption d’une société par une autre société entrant dans le champ de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017, la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération ;
  • la société absorbante bénéficie des mêmes droits que la société absorbée et peut se prévaloir de tout moyen de défense que cette dernière aurait pu invoquer ;
  • le juge peut, lorsqu’il a été procédé à une opération de fusion-absorption ayant entraîné la dissolution de la société mise en cause, entrant dans le champ de la directive et après avoir constaté que les faits objet des poursuites sont caractérisés, déclarer la société absorbante coupable et la condamner à une peine d’amende ou de confiscation ;
  • cette nouvelle interprétation ne s’applique qu’aux opérations de fusion conclues postérieurement au 25 novembre 2020 ;
  •  la responsabilité pénale de la société absorbante peut être engagée si l’opération de fusion-absorption a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale et qu’elle constitue ainsi une fraude à la loi, peu importe la date de l’opération et la nature de la société.
 
 
Une citation à comparaître devant le TJ et une fusion-absorption
En l’espèce, une société est convoquée devant le tribunal correctionnel le 23 novembre 2017 pour destruction involontaire de bien appartenant à autrui suite à un incendie provoqué par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi. Le 31 mars de la même année, la société est absorbée par une autre dans le cadre d’une opération de fusion-absorption. Cette dernière est citée à comparaître. Le tribunal ordonne un supplément d’information pour déterminer les circonstances de l’opération de fusion-absorption et de rechercher tout élément relatif à l’infraction de destruction involontaire. La société absorbante interjette appel. En vain. La cour d’appel valide et ordonne un supplément d’information visant à entendre le responsable en activité au sein des sociétés concernées par l’opération de fusion-absorption et le pénalement responsable de la société absorbante, tant sur l’opération que sur l’infraction de destruction volontaire. La société forme un pourvoi en cassation.
 
« Les moyens posent la question de savoir dans quelles conditions, en cas de fusion-absorption, la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits commis, avant la fusion, par la société absorbée » souligne la Cour de cassation. Pour y répondre, elle précise qu’il faut :
  • déterminer s’il existe un principe général de transfert de la responsabilité pénale en cas de fusion-absorption ;
  • savoir s’il s’applique immédiatement ;
  • et déterminer, si l’une des deux réponses est négative, si la solution doit être différente en cas de fraude à la loi.
 
Un principe de non-responsabilité bien établi
L’article 121-1 du Code pénal dispose que nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. Ainsi, il est clairement établi qu'à la suite d’une fusion-absorption, la société absorbante ne peut être poursuivie et condamnée pour des faits commis antérieurement à ladite opération par la société absorbée, dissoute par l’effet de la fusion (Cass. crim., 20 juin 2000, n° 99-86.742).
 
 
Une évolution européenne
En 2015, la CJUE avait statué, au regard de la directive 78/855/CEE du Conseil concernant les fusions des sociétés anonymes codifiée par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017, qu’une « fusion par absorption entraîne la transmission à la société absorbante de l’obligation de payer une amende infligée après cette fusion pour des infractions au Code du travail commises par la société absorbée avant la fusion » (CJUE, 5 mars 2015, C-343/13).
 
Suite à cela, la Cour de cassation n’avait pas modifié sa jurisprudence : l’article 121-1 du Code pénal ne peut s’interpréter, au regard de l’article 6 de la CEDH, que comme interdisant que des poursuites pénales soient engagées à l’encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant qu’elle ne perde son existence juridique et l’article ne peut être contraire à la directive du 9 octobre 1978, une directive ne pouvant produire un effet direct à l’encontre d’un particulier (Cass. crim., 25 oct. 2016, n° 16-80.366).
 
Puis, la CEDH a rendu une décision permettant à la Cour de cassation de faire évoluer sa jurisprudence. En effet, dans un arrêt de 2019, elle juge que « la société absorbée n’est pas véritablement " autrui " à l’égard de la société absorbante ». Concrètement une amende civile prévue au Code de commerce sur le fondement du principe de la continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise ne porte pas atteinte au principe de la personnalité des peines (CEDH, 1er oct. 2019, aff. 37858/14, Carrefour France c/ France, CEDH : pas d’atteinte au principe de personnalité des peines en cas d’amende civile infligée à la société absorbante en raison de faits de la société absorbée, 6 nov. 2019, Actualités du droit).
 
Ainsi, cette décision européenne « ouvre la voie à une nouvelle interprétation de l’article 121-1 du Code pénal, respectueuse de l’article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, permettant que la société absorbante soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération de fusion absorption » conclut la note explicative de l’arrêt du 25 novembre 2020.
 
 
Un raisonnement didactique
La Cour de cassation, reprenant le raisonnement de la CJUE, retient alors que la fusion-absorption entraîne de façon automatique la transmission universelle de l’ensemble du patrimoine actif et passif de la société absorbée à la société absorbante et la cessation de l’existence de la société absorbée. « Sans la transmission à la société absorbante de la responsabilité contraventionnelle, cette responsabilité serait éteinte ». Et cette extinction serait en contradiction avec la nature même de l’opération : « une telle fusion consiste en un transfert de l’ensemble du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante par suite d’une dissolution sans liquidation ».

Ensuite, elle relève que la directive a pour objectif la protection des tiers. Y figure notamment l’État membre, non encore qualifié de créancier mais qui pourrait le devenir après la fusion-absorption : ses « autorités sont susceptibles d’infliger une sanction pour une infraction commise avant la fusion ».
 
Autre point du raisonnement : « si la transmission d’une telle responsabilité était exclue, une fusion constituerait un moyen pour une société d’échapper aux conséquences des infractions qu’elle aurait commises, au détriment de l’État membre concerné ou d’autres intéressés éventuels ».
 
La Cour de cassation retient également que l’argument selon lequel la transmission de la responsabilité contraventionnelle d’une société absorbée moyennant une fusion serait contraire aux intérêts des créanciers et des actionnaires de la société absorbante, dans la mesure où ces derniers ne seraient pas à même d’évaluer les conséquences économiques et patrimoniales de cette fusion, doit être écarté. En effet, « rien n’empêche la société absorbante de faire effectuer avant la fusion un audit détaillé de la situation économique et juridique de la société à absorber pour obtenir, en plus des documents et des informations disponibles en vertu des dispositions législatives, une vue plus complète des obligations de cette société ».
 
Conclusion : en cas de fusion-absorption d’une société par une autre entrant dans le champ de la directive, la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération. La société absorbante peut se prévaloir de tout moyen de défense que la société absorbée aurait pu invoquer.
 
 
Un revirement modulé dans le temps
« En conséquence, le juge qui constate qu’il a été procédé à une opération de fusion-absorption entrant dans le champ de la directive précitée ayant entraîné la dissolution de la société mise en cause, peut, après avoir constaté que les faits objet des poursuites sont caractérisés, déclarer la société absorbante coupable de ces faits et la condamner à une peine d’amende ou de confiscation ».
 
Concrètement :
  • le transfert ne s’applique que dans le champ d’application de la directive, à savoir, en cas de fusion de société anonymes (et sociétés par actions simplifiées) ;
  • seules les peines d’amende et de confiscations peuvent être prononcées à l’encontre de la société absorbante ;
  • cette nouvelle interprétation ne peut s’appliquer aux fusions antérieures à cette décision, elle ne s’appliquera donc qu’aux opérations de fusion conclues postérieurement au prononcé du présent arrêt, soit au 25 novembre 2020.
 
 
Et en cas de fraude à la loi …
La Cour précise enfin que lorsque la fusion est antérieure au 25 novembre 2020 ou lorsque l’opération n’entre pas dans le champ de la directive, il faut s’interroger sur l’incidence que peut avoir l’existence d’une fraude à la loi.
 
En effet, la Cour précise pour la première fois que « l’existence d’une fraude à la loi permet au juge de prononcer une sanction pénale à l’encontre de la société absorbante lorsque l’opération de fusion-absorption a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale ». Cette solution s’applique immédiatement et même pour les fusions conclues antérieurement.
 
 
Voir le tableau synthétique publié sur le site de la Cour de cassation. 


 
Source : Actualités du droit